L'Objectivité de l'historien en question.
Au cours de mes deux premiers travaux de recherches (le collectionneur Jacques Zoubaloff en 2006 et la revue La Renaissance de l'art français et des industries de luxe en 2007), je me suis retrouvé confronté au problème de l'empathie avec le sujet.
Cette empathie, cette inclination vers son objet d'études, sont inévitables chez tout chercheur concerné par son sujet mais elles constituent aussi une importante source d'erreurs. En effet, une trop grande proximité avec son objet est souvent un obstacle difficilement surmontable de par sa nature polymorphe.
Dans le cadre d'une étude monographique on peut facilement se laisser tenter par l'interprétation obsessionnelle de signes dans une même focale, cette dernière pouvant être à l'origine de raccourcis dangereux. Ainsi, dans le cas de Jacques Zoubaloff, j'ai longtemps voulu voir en lui un amoureux de la France dont le nationalisme était uniquement dicté par la période (1914-1918). De fait cette vision aseptisée du nationalisme de Zoubaloff m'a empêché de voir en lui l'exemple type de l'intelligentsia parisienne de l'époque profondément marquée par le conflit et dont le nationalisme de circonstance était vecteur d'idées particulièrement violentes et xénophobes. En refusant de voir cet aspect négatif de la personnalité que j'étudiais je suis donc passé à côté de certains détails de ses lettres que je n'ai pas interprété à leur juste valeur et que j'ai traités de trop loin pour en saisir le sens. (Je pense notamment à ses lignes sur l'Allemagne que j'ai étudié et présenté isolément, perdant ainsi leur portée véritable dans une contextualisation plus large en comparant ses écrits privés aux journaux de l'époque: le triomphe de la France Eternelle berceau des Lumières face à la Barbarie allemande).
L'empathie est aussi à l'origine de la surestimation de son objet d'étude. Je prends pour exemple mon second travail sur La Renaissance de l'art français et des industries de luxe, revue d'art conservatrice, anti-avant-garde de l'entre-deux guerres. En constatant la richesse programmatique de la revue ainsi que la pléthore de noms qui se succèdent dans les colonnes de la revue d'Henry Lapauze, j'ai voulu prouver, à tout prix que cette revue n'était pas si conservatrice que ce que l'on voulait bien croire. Cette volonté s'est transformée rapidement en objectif et j'en ai par instant perdu le sens des réalités en tentant de montrer le caractère novateur de certains travaux proposés par la revue. J'étais sur les pentes glissantes du révisionnisme, je pense en avoir éviter les écueils les plus graves tout en n'ayant pu esquiver certaines erreurs ou approximations. Le manque de temps dû aux contingences universitaires ne m'a ainsi pas permis de vérifier l'intégralité de mes hypothèses. Je suis ainsi revenu de certaines de mes propositions en poursuivant mes recherches a posteriori. C'est ainsi que la personnalité de Fernand de Mély dont j'avais dressé un portrait élogieux dans un premier temps m'est apparu comme finalement plus banale que ce que je croyais. En effet, je trouvais sa méthode intéressant et originale (il cherchait à prouver l'existence de signatures chez les artistes primitifs français en étudiant les arabesques et les broderies des tableaux qui contenaient selon lui des monogrammes en latin ou parfois en hébreu), néanmoins je n'ai perçu qu'après la vacuité d'une grande partie de son travail: il n'offrait aucune synthèse de ce que ces travaux signifiaient et ne proposait finalement quune liste de signatures et d'identifications qui ne rencontrèrent d'ailleurs pas véritablement leur public. Concernant Mély, le danger aurait alors été de dénigrer son travail mais il serait injuste de ne pas lui reconnaître les qualités qui sont les siennes: bonne connaissance de l'historiographie, audace du parti pris (l'anonymat des artistes médiévaux était alors une réalité difficile à bousculer), sérieux de la méthode: il étudiait chaque oeuvre qu'il avait sous les yeux dans le détail, se renseignant auprès de spécialistes quand les lettres qu'il trouvait étaient d'une langue inconnue de lui et offrait dans ses publications des clichés des détails dont il dissertait afin de donner la preuve par l'image des hypothèses qu'il formulait.
Ainsi, je souhaitais partager avec vous mes réflexions sur les dangers d'une trop grande proximité avec le sujet, car si celle-ci est éminemment nécessaire tant au chercheur qu'à son lecteur qui sentira rapidement la trop grande distance de l'historien face à son sujet, elle est à pratiquer avec beaucoup de précautions. L'être humain est subjectif et bien que l'historien soit tenu d'être objectif, il ne peut se départir de son humanité et de sa sensibilité.
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